Rann (Nigeria), 9 août 2017 (AFP)
Babagana Jugudum avait fui les violences des jihadistes de Boko Haram et trouvé refuge dans le camp de déplacés de Rann, aux confins du nord-est du Nigeria. Mais le 17 janvier, c’est l’armée qui a détruit le peu qui lui restait, en bombardant le camp par erreur.
Jusqu’à présent, personne n’a jamais entendu son histoire: l’accès à la ville, qui ne peut se faire que par hélicoptère était totalement interdit. L’AFP a été un des premiers médias internationaux à pouvoir s’y rendre, sept mois plus tard.
Il était environ midi quand un avion de l’armée nigériane a lancé sa première bombe sur le camp, où s’étaient rassemblés environ 40.000 civils, fuyant les violences du groupe jihadiste. Quelques minutes plus tard, le chasseur-bombardier faisait demi-tour pour en lâcher une seconde.
Selon les chiffres officiels, cette « erreur de marquage », comme l’a révélé fin juillet l’armée au terme de son enquête interne, a coûté la vie à 112 personnes. Le bilan serait bien plus lourd, d’après les ONG présentes sur place.
« Le ciel s’est mis à gronder », se souvient Babagana Jugudum, imitant le bruit des bombes qui l’ont fait s’évanouir.
« Quand j’ai repris connaissance, j’ai cherché ma femme, mais elle n’était plus là », confie l’homme. « Mes enfants non plus. J’entendais seulement des cris et des cris ».
Babagana Jugudum a perdu sa famille et a été blessé à la jambe dans l’attaque. Depuis, il s’aide de béquilles pour se déplacer.
« Ils (les militaires) se sont seulement excusés, mais ils ne nous ont pas donné un centime de compensation », déplore-t-il.
Aujourd’hui la vie à Rann semble bien calme. Presque normale. Les femmes font la lessive, les hommes discutent à l’ombre des arbres. On fait la queue pour recevoir les parts de distribution alimentaire ou quelques soins.
De jeunes filles, habillées de longs hijabs colorés traversent les ruines laissées par le bombardement. Les enfants ont fabriqué des petites voitures dans des boîtes de sardine, en utilisant des bouchons de bouteilles colorés comme roues.
– ‘Chaos de la guerre’ –
Malgré la colère de M. Jugudum, les militaires déployés dans la zone affirment que les relations restent plutôt bonnes avec la population.
« Ils ont compris que c’était une erreur », lâche un soldat. « Et de notre côté, nous avons entretenu des relations cordiales avec eux ».
Pourtant, cette « erreur » est devenue le triste symbole des exactions commises par l’armée nigériane contre la population civile pendant les huit années de conflit contre Boko Haram. Un exemple tragique aussi des tentatives pour les faire disparaître.
Au lendemain du bombardement, les généraux ont regretté une « conséquence du chaos de la guerre ». Mais dans un rapport rendu public en juillet, l’armée a finalement accusé les organisations humanitaires de n’avoir pas donné les coordonnées de localisation du camp, situé dans la périphérie de Rann, ville où des combattants s’étaient regroupés.
Pour Bruno Jochum, directeur général de Médecins sans Frontières, ces accusations sont « choquantes ». « Toutes les activités des ONG sont organisées en totale transparence avec l’armée ».
« Ce bombardement soulève toutefois des questions fondamentales: qui a pris cette décision? Pourquoi avoir utilisé la force de manière si disproportionnée? », interroge-t-il.
L’armée nigériane est régulièrement accusée de violations des droits de l’Homme, de meurtres extra-judiciaires, de recours à la torture, et d’abus envers les femmes regroupées dans les camps de déplacés.
« Cette guerre est impitoyable », regrette M. Jochum. « Des violences inouïes sont exercées sur la population civile de toute part du conflit. »
Plus de 20.000 personnes ont perdu la vie dans cette guerre contre Boko Haram, depuis que la secte islamiste rigoriste a pris les armes en 2009. La crise humanitaire et les niveaux de malnutrition touchent des millions de personnes dans la région du lac Tchad.
Le président Muhammadu Buhari avait promis d’en finir avec la guerre à son arrivée au pouvoir en 2015, après des années d’indifférence de la part du gouvernement précédent. Il avait annoncé triomphalement fin 2015 que le groupe jihadiste était « techniquement » battu, mais deux années plus tard, le nord-est du Nigeria vit encore au rythme des attentats-suicides et des raids sanglants sur les villages.
Pire, le groupe a perpétré des attaques de grandes envergures récemment: plus de 60 membres d’une mission d’exploration de pétrole ont été massacrés en juillet dans une embuscade dans la région.
Selon Armed Conflict Location and Event Data project, un projet universitaire de recensement des victimes de guerre, Boko Haram a tué plus de 5.000 personnes ces deux dernières années. Début août, le président par intérim Yemi Osinbajo a ordonné le déploiement des chefs militaires à Maiduguri, la capitale du nord-est du Nigeria, berceau du groupe jihadiste.
« La tournure des événements est inquiétante, tous les progrès réalisés par l’armée nigériane pourraient être anéantis », prévient Ryan Cummings, analyste en sécurité. « Les violences pourraient à nouveau échapper à tout contrôle. »
Jusqu’à présent, personne n’a jamais entendu son histoire: l’accès à la ville, qui ne peut se faire que par hélicoptère était totalement interdit. L’AFP a été un des premiers médias internationaux à pouvoir s’y rendre, sept mois plus tard.
Il était environ midi quand un avion de l’armée nigériane a lancé sa première bombe sur le camp, où s’étaient rassemblés environ 40.000 civils, fuyant les violences du groupe jihadiste. Quelques minutes plus tard, le chasseur-bombardier faisait demi-tour pour en lâcher une seconde.
Selon les chiffres officiels, cette « erreur de marquage », comme l’a révélé fin juillet l’armée au terme de son enquête interne, a coûté la vie à 112 personnes. Le bilan serait bien plus lourd, d’après les ONG présentes sur place.
« Le ciel s’est mis à gronder », se souvient Babagana Jugudum, imitant le bruit des bombes qui l’ont fait s’évanouir.
« Quand j’ai repris connaissance, j’ai cherché ma femme, mais elle n’était plus là », confie l’homme. « Mes enfants non plus. J’entendais seulement des cris et des cris ».
Babagana Jugudum a perdu sa famille et a été blessé à la jambe dans l’attaque. Depuis, il s’aide de béquilles pour se déplacer.
« Ils (les militaires) se sont seulement excusés, mais ils ne nous ont pas donné un centime de compensation », déplore-t-il.
Aujourd’hui la vie à Rann semble bien calme. Presque normale. Les femmes font la lessive, les hommes discutent à l’ombre des arbres. On fait la queue pour recevoir les parts de distribution alimentaire ou quelques soins.
De jeunes filles, habillées de longs hijabs colorés traversent les ruines laissées par le bombardement. Les enfants ont fabriqué des petites voitures dans des boîtes de sardine, en utilisant des bouchons de bouteilles colorés comme roues.
– ‘Chaos de la guerre’ –
Malgré la colère de M. Jugudum, les militaires déployés dans la zone affirment que les relations restent plutôt bonnes avec la population.
« Ils ont compris que c’était une erreur », lâche un soldat. « Et de notre côté, nous avons entretenu des relations cordiales avec eux ».
Pourtant, cette « erreur » est devenue le triste symbole des exactions commises par l’armée nigériane contre la population civile pendant les huit années de conflit contre Boko Haram. Un exemple tragique aussi des tentatives pour les faire disparaître.
Au lendemain du bombardement, les généraux ont regretté une « conséquence du chaos de la guerre ». Mais dans un rapport rendu public en juillet, l’armée a finalement accusé les organisations humanitaires de n’avoir pas donné les coordonnées de localisation du camp, situé dans la périphérie de Rann, ville où des combattants s’étaient regroupés.
Pour Bruno Jochum, directeur général de Médecins sans Frontières, ces accusations sont « choquantes ». « Toutes les activités des ONG sont organisées en totale transparence avec l’armée ».
« Ce bombardement soulève toutefois des questions fondamentales: qui a pris cette décision? Pourquoi avoir utilisé la force de manière si disproportionnée? », interroge-t-il.
L’armée nigériane est régulièrement accusée de violations des droits de l’Homme, de meurtres extra-judiciaires, de recours à la torture, et d’abus envers les femmes regroupées dans les camps de déplacés.
« Cette guerre est impitoyable », regrette M. Jochum. « Des violences inouïes sont exercées sur la population civile de toute part du conflit. »
Plus de 20.000 personnes ont perdu la vie dans cette guerre contre Boko Haram, depuis que la secte islamiste rigoriste a pris les armes en 2009. La crise humanitaire et les niveaux de malnutrition touchent des millions de personnes dans la région du lac Tchad.
Le président Muhammadu Buhari avait promis d’en finir avec la guerre à son arrivée au pouvoir en 2015, après des années d’indifférence de la part du gouvernement précédent. Il avait annoncé triomphalement fin 2015 que le groupe jihadiste était « techniquement » battu, mais deux années plus tard, le nord-est du Nigeria vit encore au rythme des attentats-suicides et des raids sanglants sur les villages.
Pire, le groupe a perpétré des attaques de grandes envergures récemment: plus de 60 membres d’une mission d’exploration de pétrole ont été massacrés en juillet dans une embuscade dans la région.
Selon Armed Conflict Location and Event Data project, un projet universitaire de recensement des victimes de guerre, Boko Haram a tué plus de 5.000 personnes ces deux dernières années. Début août, le président par intérim Yemi Osinbajo a ordonné le déploiement des chefs militaires à Maiduguri, la capitale du nord-est du Nigeria, berceau du groupe jihadiste.
« La tournure des événements est inquiétante, tous les progrès réalisés par l’armée nigériane pourraient être anéantis », prévient Ryan Cummings, analyste en sécurité. « Les violences pourraient à nouveau échapper à tout contrôle. »