A BORD DU NAVIRE AQUARIUS (Italie), 13 août 2017 (AFP)

Rome s’est félicité dimanche de l’intensification par Tripoli du contrôle des eaux libyennes, qui a déjà poussé trois ONG à suspendre la majorité de leurs activités. L’Aquarius, navire humanitaire bien seul en mer et désoeuvré, se tenait prudemment à distance.
A bord de l’Aquarius – navire de 68 mètres affrété par la section d’Amsterdam de Médecins sans frontières et SOS Méditerranée – l’équipage scrutait en vain dimanche l’horizon avec des jumelles, selon un journaliste AFP à bord. Pas l’ombre d’une embarcation de migrants depuis une semaine et aucun autre bateau humanitaire sur zone dimanche.
En revanche, l’Aquarius a croisé en milieu de journée le bateau “C-Star”, affrété par le groupe d’extrême droite français “Génération identitaire”, pour afficher son désaccord avec les opérations des humanitaires.
S’il n’entend pas jeter l’éponge, l’équipage de l’Aquarius a décidé de rester sagement à 24 milles maritimes, à la limite de la zone où Tripoli a le droit de faire respecter ses lois nationales en matière de migration.
La marine libyenne a annoncé jeudi les limites d’une nouvelle zone de recherche et de sauvetage (Sar) accessible aux ONG, afin de les éloigner. Les navires des ONG patrouillaient auparavant au plus près des eaux territoriales, à 12 milles, voire moins, distance à laquelle il était possible de voir la silhouette de la ville de Tripoli.
A la suite de cette interdiction perçue comme menaçante, Médecins sans frontières (MSF) a annoncé samedi la suspension temporaire des activités du “Prudence”, 75 mètres de long, plus gros navire de secours aux migrants en Méditerranée.
Dimanche deux autres organisations non gouvernementales, l’allemande Sea Eye et la britannique Save the children, ont également décidé de garder leurs trois navires à quai.
“Nous laissons un vide mortel en Méditerranée”, a regretté le fondateur de Sea Eye, Michael Buschheuer, en calculant que son organisation avait sauvé environ 12.000 personnes en Méditerranée depuis avril 2016. “Les embarcations de migrants vont être obligées de retourner en Libye et beaucoup d’enfants et d’adolescents vont mourir en mer”, remarquait le directeur des opérations de Save the children, Rob MacGillivray.
Seule l’ONG espagnole Proactiva open arms, dont les deux bateaux se trouvaient dimanche à Malte, a assuré vouloir reprendre ses opérations dès lundi.
– ‘Rééquilibrage en cours en Méditerranée’ pour Rome –
Dimanche, le gouvernement italien s’est pour sa part félicité du contrôle maritime accru de la Libye.
“Le gouvernement libyen de Fayez al-Sarraj a demandé l’aide de l’Italie et il est prêt à mettre en place la zone Sar dans ses eaux, collaborer avec l’Europe et investir dans les gardes-côtes: tout ceci est signe d’un rééquilibrage en cours en Méditerranée”, a estimé le ministre italien des Affaires étrangères Angelino Alfano, dans un long entretien paru dimanche dans le quotidien italien La Stampa.
Pour lui, la moindre présence des ONG, accusées par leurs détracteurs d’être devenues des “taxis” de migrants, est plutôt positive. “La décision de MSF rentre aussi dans le cadre d’un réajustement des équilibres: ces eaux ne sont plus à personne, mais sont celles de la Libye”, a-t-il lancé.
Et selon lui, “les enquêtes de quelques procureurs siciliens ont créé le contexte +culturel+ approprié pour obtenir le code des ONG”. Rome, soutenu par l’UE, vient de négocier avec les ONG un code de conduite pour les sauvetages signé désormais par la majorité des organisations.
Parallèlement, une enquête du parquet de Trapani (ouest de la Sicile) a mené au début du mois à la saisie du bateau de l’ONG allemande Jugend Rettet, sur des soupçons de liens directs avec des trafiquants de migrants.
Quatre personnes ont été citées dans cette enquête: deux commandants, un membre d’équipage, et un prêtre érythréen. Elle porte aussi sur des opérations de secours menées par Médecins sans frontières et Save the children.
“Nous avons fait deux choix: celui de soustraire des gains criminels aux trafiquants – parce que moins il y a de personnes qui partent, moins cela rapporte aux trafiquants – et celui de financer les agences de l’Onu – l’UNHCR et l’OIM – pour assurer des normes respectueuses des droits humains dans les camps libyens”, a insisté M. Alfano.