Addis Abeba, 20 juil 2017 (AFP)

Daniel Teklay a porté le maillot de l’équipe d’Erythrée à travers l’Afrique pendant plusieurs années mais, en 2016, ce cycliste a fui l’un des régimes les plus répressifs au monde et rejoint clandestinement l’Ethiopie, ses rêves de petite reine en poche.
“J’ai décidé de quitter l’Erythrée, et je ne veux pas y retourner”, explique-t-il à l’AFP, à l’occasion d’un entraînement matinal en périphérie de la capitale éthiopienne, Addis Abeba. “J’ai un rêve à réaliser”.
Car un an après son exil, Daniel est à nouveau en selle.
Ce cycliste de 24 ans participe à des compétitions en Ethiopie, voisin et ennemi juré de son pays d’origine. Il est même le meilleur coureur d’une équipe de réfugiés aux résultats impressionnants, malgré d’importants obstacles financiers et logistiques.
L’Erythrée a hérité de sa colonisation par l’Italie une culture cycliste ayant produit des coureurs tels que Daniel Teklehaimanot et Natnael Berhane, qui ont participé au Tour de France. Mais des centaines de milliers d’autres Erythréens, dont des jeunes athlètes, ont quitté leur pays.
Or, une fois exilés, rares sont les sportifs érythréens pouvant s’adonner à leur passion. Les dix membres de l’équipe de réfugiés érythréens s’estiment donc chanceux : “Ici en Ethiopie, je peux faire du mieux que je peux avec mes qualités”, se félicite Daniel.
– Service national illimité –
L’Ethiopie accueille de nombreux réfugiés qui fuient la guerre et la faim minant des pays voisins comme le Soudan du Sud et la Somalie. L’Erythrée est, elle, plus qu’un simple voisin tourmenté: cet ancien territoire éthiopien sur les bords de la mer Rouge est indépendant de fait depuis 1991, et les deux pays se sont fait la guerre entre 1998 et 2000.
Le régime érythréen est accusé par l’ONU de crimes contre l’humanité et de soutenir l’extrémisme islamique.
Nombre des 160.000 réfugiés érythréens en Ethiopie, dont Daniel et son équipe, sont des jeunes souhaitant échapper au “service national”, à durée illimitée, que l’ONU et des organisations de défense des droits de l’homme assimilent à de l’esclavage.
Filimon Gebrezabihr assure avoir vu ce “service national” détruire plusieurs rêves de carrière cycliste. “C’est grâce à cela que j’ai appris qu’il était impossible d’atteindre ce rêve” en Erythrée, dit cet autre membre de l’équipe.
Plutôt que de raccrocher le vélo, “j’ai fui”, raconte-t-il.
– Saine émulation –
Formée de coureurs qui pour certains se connaissaient déjà en Erythrée, l’équipe de réfugiés a été assemblée à partir de 2015 à Addis Abeba par un entraîneur installé dans la capitale éthiopienne et ayant eu vent de la présence de ces jeunes talents dans le pays.
L’équipe est désormais une des meilleures de la capitale: Daniel Teklay, ancien membre de l’équipe nationale érythréenne, a remporté plusieurs courses.
Le succès de l’équipe de réfugiés est même à la source d’une saine émulation au sein des pelotons concourant à Addis Abeba, si l’on en croit Makonnen Gebretinsae, organisateur de courses. “L’équipe érythréenne a commencé a signer de bonnes performances, et cela a motivé les autres équipes”.
La route du succès est pourtant jonchées d’obstacles.
Les membres de l’équipe ne peuvent par exemple pas rejoindre l’équipe nationale de leur pays pour concourir au plus haut niveau. Les coureurs ont par ailleurs dû renoncer à une course à laquelle ils avaient été invités en Israël, faute de documents de voyage en ordre, regrette Ben Jemaneh, leur manager.
– Un futur incertain –
L’équipe survit financièrement grâce au soutien de proches en Europe et celui du manager Ben Jemaneh, homme d’affaires féru de cyclisme qui a consacré plusieurs milliers de dollars à importer des vélos ou des pièces de vélos introuvables en Ethiopie.
“Ce sont des réfugiés, il n’y a personne pour les aider”, dit Ben Jemaneh, qui conduit l’équipe aux courses à bord d’une vieille berline sur laquelle est juché un porte-vélo fait maison.
L’équipe a pour objectif de participer en août au Tour Meles Zenawi, seule course éthiopienne officiellement reconnue par l’Union cycliste internationale.
Mais Ben Jemaneh n’est pas certain de pouvoir rassembler assez de fonds pour se rendre à Mekele (nord), où est disputée la course. Il n’est en outre pas acquis que la Fédération éthiopienne de cyclisme leur permettra d’y participer.
Loin de ces incertitudes, le cyclisme reste pour ces coureurs une échappatoire à la vie de réfugié, raconte l’un d’eux, Michael Nuguse, qui rêve d’un jour “concourir au plus haut niveau”: “Parfois, en tant que réfugié, il n’y a rien à faire, à part penser”.