Yumbe (Ouganda) (AFP)


Sadiq Agotre, moto-taxi, maugrée en attendant des clients qui se font rares. « Les affaires ne sont pas bonnes. Ces gens n’ont pas d’argent », dit-il en scrutant une ancienne friche qui, en à peine huit mois, est devenue le plus grand camp de réfugiés au monde, Bidibidi.
L’Ouganda est l’un des pays au monde les plus accueillants pour les réfugiés. Mais l’arrivée quotidienne de plus de 2.000 Sud-soudanais, fuyant la guerre civile dans leur pays, soumet les ONG et les communautés locales à une forte pression .
Dans le district de Yumbe, au nord de l’Ouganda, près de la frontière sud-soudanaise, où vivent 500.000 personnes, la frustration est de mise. Les locaux estiment que l’effort humanitaire a accentué la compétition pour des ressources déjà limitées, sans leur procurer plus d’emplois.
« Ça (la crise des réfugiés, ndlr) a tellement changé la ville. Ça a engendré beaucoup d’inquiétudes. Inquiétudes pour l’emploi. Le prix des denrées alimentaires s’est envolé », explique Nachal Dovelay, un commerçant de la ville de Yumbe.
Bidibidi a ouvert en août 2016, pour faire face à l’afflux massif de réfugiés arrivant du Soudan du Sud, après la reprise des combats à Juba en juillet qui avaient relancé la guerre civile déclenchée en décembre 2013.
Le camp abrite à présent 270.000 personnes et en quelques mois à peine, il a supplanté Dadaab au Kenya, qui accueille surtout des Somaliens, pour devenir le plus grand camp de réfugiés au monde. Au total, l’Ouganda a déjà reçu 830.000 Sud-Soudanais, l’ONU estimant que ce chiffre pourrait atteindre le million d’ici l’été.
– Précieuse nourriture –
Le nombre de réfugiés dans ce pays, l’un des plus pauvres au monde, est comparable à celui des Syriens ayant fui vers l’Europe au plus fort de la crise des migrants en 2015.
Robert Baryamwesiga, le responsable administratif du camp, compare cette urgence humanitaire à « un tsunami », une vague arrivant « à toute vitesse » et emportant tout sur son passage.
Un tourbillon de poussière enveloppe soudainement la foule qui attend de recevoir l’aide alimentaire. Quand le calme revient, une petite fille commence à ramasser les grains de maïs destinés à sa famille, tombés au sol.
Chaque morceau de nourriture est précieux. Les réfugiés arrivés en Ouganda avant la mi-2015 ont déjà vu leurs rations diminuées de moitié. Ce mois-ci, la distribution de nourriture est déjà deux semaines en retard.
« Nous avons faim. La nourriture est normalement prévue pour un mois, mais elle dure moins longtemps et maintenant elle est 15 jours en retard. C’est vraiment difficile », peste David Kepo, 41 ans, un chef coutumier sud-soudanais arrivé trois mois plus tôt.
Cheryl Harrison, la chef adjointe du Programme alimentaire mondial (PAM) en Ouganda, admet que la logistique nécessaire pour livrer 15.000 tonnes de nourriture représente un défi.
« Nous essayons de nous assurer que chacun sait que nous allons être en retard. Si les gens sont prévenus, ils s’adaptent. Ils réduisent le volume de ce qu’ils mangent et tentent de faire durer ce qu’ils ont », dit-elle.
– Tensions avec les locaux –
Avant que les réfugiés ne commencent à affluer à l’été 2016, le PAM dépensait 6 millions de dollars (5,6 millions d’euros) par mois pour l’aide alimentaire en Ouganda. Ce chiffre est maintenant de 16 millions de dollars.
Le mois dernier, le Haut-Commissaire de l’ONU pour les réfugiés, Filippo Grandi, avait averti que la situation en était à un « point de rupture ».
L’utilisation des ressources locales a accentué les tensions avec la population autochtone. Récemment, des Ougandais ont bloqué pendant plusieurs heures l’accès à un puits, estimant ne pas bénéficier suffisamment de la présence des réfugiés.
« La question des ressources naturelles – matériaux de construction, bois, essence -, ça a été un désastre. Avec 272.000 personnes, l’effet est grand et le chômage ici est très élevé », avoue Jacob Batemyetto, un autre responsable administratif.
Le gouvernement ougandais autorise les réfugiés à travailler et à circuler librement dans le pays, et leur distribue normalement un lopin de terre.
Mais à Bidibidi, cela n’a pas encore eu lieu. « Nous ne pouvons pas nous nourrir, parce qu’ils n’ont pas encore créé de programme agricole et qu’il n’y a pas de terres », remarque Wila James, 40 ans, arrivée l’an passé en Ouganda.
Le risque de vives tensions avec la population locale est grand si les réfugiés n’ont pas les moyens de s’auto-alimenter, met en garde M. Baryamwesiga, évoquant « une situation très, très fragile ».